La situation des femmes musulmanes au Canada
En 2021, le Conseil national des musulmans du Canada a signalé qu'au cours des cinq dernières années, plus de musulmans ont été victimes d'attaques haineuses ciblées au Canada que dans tout autre pays du G7. Selon Statistique Canada, le taux de crimes haineux contre les musulmans, déclarés par la police, est passé de 84 % à 144 % entre 2020 et 2021. Selon le Réseau canadien anti-haine, le nombre réel est certainement beaucoup plus élevé, puisque près de 80 % des crimes de haine ne sont pas signalés à la police.
Wati Rahmat, le cœur battant, traverse rapidement une rue latérale et se rend de son bureau à l'arrêt d'autobus le plus proche. Une voiture la suit lentement et Wati sait ce qui l'attend. Un homme baisse la vitre de la voiture et crie : « Hé, terroriste ! Rentre chez toi ! » Ce n'est là qu'un des épisodes effrayants auxquels Rahmat, une musulmane asiatique portant l’hijab, a dû faire face pendant ses neuf années à Montréal. Finalement, les choses ont tellement mal tourné qu'elle a déménagé à Edmonton, en 2014, espérant que les choses seraient différentes là-bas. Se référant aux incidents couverts par les médias, ainsi qu'aux informations des organisations sociales, Rahmat a déclaré : Au cours des deux dernières années, la plupart des victimes d'islamophobie étaient des femmes. Pas plus tard que le 12 avril, une femme musulmane rentrant d'une mosquée à Kitchener, a rapporté qu'un homme masqué s'est arrêté, a baissé la vitre de sa voiture et a pointé une arme sur elle et sa mère. La police répond souvent aux signalements de crimes haineux avec indifférence ou déni, et omet d'enquêter. Lors d'un incident, un policier a dit à une femme musulmane que le racisme n'est pas un crime ! Lors d'un autre incident, une de nos sœurs a demandé pourquoi elle devrait signaler ces attaques si cela ne sert à rien ».
Selon le Edmonton Journal, au moins neuf attaques contre des femmes musulmanes ont été signalées à la police, au cours d'une période de six mois, en 2021-2021. Il s'agit notamment d'un incident au cours duquel un homme a brisé la vitre d'une voiture garée dans un centre commercial local, pour attaquer une mère et sa fille, à l'intérieur de la voiture, et un autre près de Saint-Albert, au cours duquel un agresseur a battu une femme et l'a menacée avec un couteau.
Chelby Daigle, rédactrice en chef et coordinatrice de « The Muslim Link », un forum en ligne visant à promouvoir la diversité musulmane au Canada, a déclaré qu'elles (les femmes musulmanes) sont attaquées et harcelées en raison de stéréotypes courants sur l'oppression qu’elles subissent dans leurs communautés.
Les théories du complot Covid-19 n'ont fait qu'ajouter à la tendance. Par exemple, une de ces théories affirmait que les musulmans défiaient la quarantaine en se rassemblant dans les mosquées pour prier. En juin et août 2020, une mosquée de Toronto a été attaquée et endommagée à six reprises.
Les changements démographiques au Canada, ont alimenté le feu de la suprématie blanche. Selon les statistiques canadiennes, la part de la population musulmane au Canada, a plus que doublé au cours des 20 dernières années, passant de 2 % en 2001 à près de 5 % en 2021. Ce changement a contribué à soutenir une partie de la soi-disant théorie du « grand remplacement », qui prétend que certaines personnes au Canada, tentent de remplacer les Canadiens de souche par des immigrants dotés de projets politiques. Selon Daigle, les réseaux sociaux ont contribué à renforcer cette théorie.
Rahmat et d'autres membres de la communauté musulmane d'Edmonton ont décidé d'agir après une série d'attaques brutales en 2021, et ont fondé « Sisters Dialogue », une organisation qui réunit un groupe diversifié de femmes musulmanes. L'été 2022, le groupe a lancé « The Edmonton SafeWalk » en partenariat avec la Fédération des ligues communautaires d'Edmonton.
Rahmat a déclaré : Les femmes ont le droit de se sentir en sécurité et à l'aise n'importe où et n'importe quand.
Godlove Ngwafusi, chef du comité antiracisme de l'Association afro-canadienne d'Ottawa, a déclaré : « Le racisme systémique est enraciné dans le système de signalement des crimes haineux de la police, et ne donne pas de crédit aux Noirs. J'ai remarqué une augmentation de la frustration et de la méfiance dans les communautés et les organisations, avec lesquelles je travaille. Malgré l'augmentation des crimes haineux, les gens hésitent à les signaler car rien ne se passe. C'est là que réside le problème. Personne n'est licencié pour racisme ou négligence ».
Naila Miled, conseillère antiraciste à la faculté de médecine de l'Université de la Colombie-Britannique, a souligné que l'islamophobie en général, et l'islamophobie de genre en particulier, n'ont pas été efficacement combattues au Canada.
Miled qui suit depuis des années, la représentation des musulmans dans les médias canadiens, a déclaré : « Le rôle des médias dans la présentation continue d'images stéréotypées des musulmans, en particulier des images de femmes musulmanes, a donné une image déformée des communautés musulmanes. Nous ne voyons que des musulmans dépeints comme des victimes ou des terroristes. Nous ne voyons pas les musulmans comme des personnes normales et réelles, qui publient leurs histoires dans les médias, comme les autres communautés, et certaines lois et institutions contribuent à normaliser l'islamophobie systématique, y compris l'islamophobie de genre. Il est crucial de briser les stéréotypes, plus nous éduquerons les gens, plus les gens se rendront compte que les musulmans sont des gens normaux et non les victimes de violence domestique ou d'islamophobie. Nous ne voyons pas assez de couverture des réussites et des réalisations musulmanes dans les médias. Nous avons besoin de récits qui racontent les vraies histoires des musulmans, nous devons aller au-delà des stéréotypes. Les musulmans sont des êtres humains et font partie du tissu social qui aide le Canada ».
Les femmes musulmanes sont au centre de la controverse sur le projet de loi 21 du Québec, qui interdit aux fonctionnaires occupant des postes de pouvoir, comme les policiers et les enseignants, de porter des symboles religieux comme l’hijab, le turban sikh et la kippa (un chapeau juif traditionnel). Des recherches menées par l'Association des études canadiennes en 2022 ont montré que les femmes musulmanes sont le groupe le plus touché par cette loi. Le débat sur le projet de loi 21, s'est de nouveau échauffé en janvier, lorsque le premier ministre Justin Trudeau a nommé l'ancienne journaliste Amira Al-Ghawabi au poste d'envoyée spéciale du gouvernement canadien, pour lutter contre l'islamophobie. Un rapport publié par le CNMC, un an après le sommet, a montré que des progrès avaient été réalisés. Au total, 27 des 61 recommandations du sommet ont été abordées par divers paliers de gouvernement, y compris un engagement fédéral à se joindre à une contestation judiciaire contre le projet de loi 21, s'il atteint la Cour suprême.
La recherche montre que l'islamophobie est significativement plus élevée au Québec que dans d'autres régions du Canada. Une nouvelle étude de l'Institut « Angus Reid » révèle que 56 % des Québécois ont une vision négative de l'islam, et 36 % à l'extérieur du Québec.
Pendant ce temps, certains éducateurs abordent le problème de l'islamophobie en classe. Cette année, le « Peel District School Board » est devenu le premier au Canada, à lancer une stratégie visant à combattre l'islamophobie, à créer des salles de classe plus inclusives et à affirmer l'identité musulmane, notamment en reconnaissant les contributions musulmanes à la science, à l'art et à l'histoire.
